Si je suis amoureux
d'un autre être, ce n'est pas d'une identité que je suis amoureux,
je ne suis pas amoureux d'un autre parce qu'il est Blanc.
Si je suis amoureux
c'est que sans doute j'ai accédé à ce qui fait que cet autre est
unique. Je suis lié à une personne unique, irremplaçable. De ce
fait, j'ai précarisé ma situation.
Je ne suis plus dans
l'amour maternel, filial par exemple qui semble aller de soi, je suis
en dehors de la sphère familiale, comme nomade au fond, faisant ma
propre expérience d'être unique.
« ce
qui va de soi c'est ce qui va mal » Alain
La singularité de
l'autre me rend dépendant si l'on veut dans la mesure où il devient
irremplaçable car unique. Mon existence repose sur un autre qui est
libre. On peut voir alors la passion amoureuse comme une passion
salubre et salutaire, permettant à l'être de respirer en dehors du
cadre familial et social. Il s'oxygène, il oxygène le cadre commun.
Il sort du simple déterminisme. Il s'essaye à l'expérience
sensible.
Aussi si l'être est
enfermé dans un « on », qu'il a tendance à se
rapprocher de ses semblables,
en tombant amoureux
d'un être qui fait partie de son groupe identitaire, il va accéder
à la singularité et de ce fait, chaque membre du groupe sera devenu
pour lui singulier. Aussi le lien qui les unissait devient pour
l'être , superfétatoire, négation de la singularité.
Donc la passion
amoureuse vient défaire pour l'être la pertinence des amalgames,
des préjugés. La passion amoureuse vient donc également défaire
sur ce quoi jusqu'ici l'existence de l'être reposait. Elle va donc
l'enjoindre à chercher activement, un autre mode d'être au monde,
un devenir.
En
accédant à la singularité de l'autre, par réciprocité de vue,
j'accède à ma propre singularité.
Se
connaître à travers l'autre et non les autres.
L'éprouvé
sensible
Je n'ai pas choisi
d'être blanc ni de l'image que renvoie cette identité,
d'être breton ni de
l'image que renvoie cette identité,
je ne suis pas le
seul blanc, ni le seul breton…
or dans la passion
amoureuse, c'est un « je » vers un « tu »
on accède à
l'autre, et réciproquement, la passion amoureuse est singulière.
Si l'identité
empirique va avec l'aliénation et la déresponsabilisation,
à l'opposé la
passion amoureuse vitalise l'être. Il sort du nid. Il fait sans se
soucier de ce que les autres pensent. Souvent il est facile de
prétendre que l'on se moque de se que les autres pensent, toutefois
je dirais que l'être n'est pas en mesure d'être indifférent aux
regard que les autres portent sur lui, mais on peut éprouver ce
sentiment comme aliénant. Je suis affecté par le regard négatif,
mais pour autant, je ne suis pas positivement affecté par le regard
positif car je ressens ou j'ai conscience que ce regard positif est
positif par négation de celui que je suis. Si un être a le désir
de se lier avec moi parce que je suis Blanc, j'ai conscience que ce
n'est pas moi qui l’intéresse mais quelque chose qui fait négation
de celui que je suis. Au fond il y a une violence dans le préjugé
défavorable comme dans le préjugé favorable. Si l'être désir le
préjugé favorable c'est qu'il est ignorant de lui même.
La
passion amoureuse est une propédeutique inconsciente à la raison
D'une part parce
qu'elle participe pour l'être à la prise de possession de son je
singulier,
c'est un « je »
qui pense. Il faut donc bien pour pouvoir trouver son autonomie
rationnelle, autonomie qui me permettra de cheminer vers ma majorité
morale, que j'ai préalablement saisi mon « je »
singulier. Une identité, un « on » ne pense pas. Un
blanc, un Breton ça ne pense pas.
elle participe au
fait que l'être va se défaire des déterminismes sociaux par
exemple.
Puisqu'au travers de
la passion amoureuse, de ce lien particulier avec un autre unique,
l'être dégrégarise
son esprit, il se trouve dans une forme d’asile, les autres
n'existent plus. Si les autres n'existent plus alors il est plus aisé
de ne plus être déterminé par ce que les autres pensent, ou parce
que je me figure de ce que les autres peuvent penser. C'est donc bien
cet asile si particulier, qui favorise grandement la subjectivité de
l'être. (on a peut être tort de considérer que par défaut l'être
est subjectif, il est plus assurément grégaire)
Dans le travail
préparatoire inconscient qu'est la passion amoureuse, l'être
singulier prend conscience de lui même à travers l'autre. C'est
donc par l'autre, grâce à ce lien particulier, que l'être est en
mesure de rentrer dans un processus de gestation. De se mettre au
monde en quelque sorte. L'autre joue donc un rôle essentiel.
Si la présence de
l'autre, intime et singulière, me permet d'atteindre mon autonomie
rationnelle, on peut dire qu'au delà de la présence concrète de
cet autre, l'autre demeure en moi. C'est bien l'autre incarnant
l'amour qui m'a permis de me faire libre. Qu'il est beau alors de
considérer qu'un autre puisse engendre chez moi cet idéal
conception.
La passion
amoureuse a une finalité et donc une fin
On peut dire que
parce qu'il y a passion, il y a ignorance d'un point de vue
rationnel. Ce n'est pas directement la raison qui fait que je suis
« captivé » par un autre. Aussi si la relation amoureuse
me permet de prendre conscience, de saisir mon « je »
singulier, mon autonomie rationnelle, je vais me trouver en face de
la nécessité morale d'user de cette autonomie. Aussi si je suis
nécessité par un tel usage je n'ai plus la disponibilité d'être
« captivé » par l'autre. Il y a donc un terme à cette
relation singulière amoureuse du « je » et du « tu »
c'est ce que dit le
travail préparatoire, qui n'est autre qu'un intermédiaire.
La finalité de la
passion amoureuse n'est pas de rester dans le « je » et
le « tu » mais d'accéder au « nous ». Ce
« tu » incarné je le retrouverai au sein du « nous ».
une fois que j'ai saisi mon « je » singulier, l'asile du
« je » et « tu » devient un cadre carcéral,
un isolement. Car l'être pour répondre à son sentiment d'exister,
ne peut trouver équilibre dans l'asile du « je-tu ». Si
l'existence au sein de la conscience commune, conscience commune
prémorale, se fait de manière identitaire, la distinction se
déroule ainsi, dans le « je » singulier c'est le
« je rationnel » et plus tard le « nous » qui
fera sentiment d'existence pour l'être.
L'amour
du moi et l'autre, devient l'Amour universel.
Il ne faut pas voir
en cela une forme de cynisme, l'autre joue un rôle essentiel pour
le moi, il lui permet d'accéder à une puissance, à une dignité.
L'autre fait que je fais opérer chez moi une conversion du regard,
mon regard ne sera plus empirique, ma considération ne sera plus
empirique, mais transcendantale au cadre. Ce sera moi avec moi même,
c'est à dire avec la raison. (dans un prochain article, on verra les
différents stades qui permettent à l'être de passer du je
singulier au je rationnel)
La
conscience commune fait que conquérir ma singularité, ma liberté
et ma responsabilité, augmente ma charge existentielle, me pénalise
en tant qu'être. L'autre n'est pas attiré par celui que je suis,
mais par ce que je représente. Il m'use tel un moyen, me chosifie.
Il est possible que
ce qui attire l'autre vers moi, c'est ce que je représente à la
lumière de l'extériorité. Je suis peut être un objet de désir
mimétique, ou collectif qui permettra à cet autre de nourrir son
amour propre, de parfaire son sentiment de réussite. Il incarnera
une réussite à travers moi.
Cela est négation
de celui que je suis, je suis chosifié par son désir, je ne suis
qu'un moyen pour lui, un intermédiaire.
Il peut donc y avoir
entre un être et un autre une utilisation mutuelle. Chacun utilise,
malgré lui car il en est déterminé, l'autre comme un simple moyen.
Et chacun essaye d'incarner une forme de réussite, de représenter
quelque chose afin d'être une source d'attirance, de désir pour les
autres. C'est ainsi que dans la négation de lui même, il évalue sa
valeur et celles des autres à la lumière de l'extériorité.
On peut donc
conclure, que lorsque l'être singularise son mode d'être au monde,
il est en quelque sorte ostracisé, car s'étant défait de son
identité empirique, ne collant plus à son apparence, il n'a plus de
valeur aux yeux des autres, il est transparent à la lumière de
l'extériorité. Et il ne peut nourrir chez l'autre le besoin de se
sentir exister. Car en une fois que l'autre désire à la lumière de
l'extériorité, ce n'est pas, non ce n'est pas saisir l'autre dans
son unicité que l'être désire, mais appartenir à une identité
fantasmée. Autrement dit dans cette configuration lorsque j'attire
l'autre ce n'est pas pour celui que je suis, mais parce que l'autre
au travers de son besoin d'exister à la lumière de l'extériorité,
trouve dans mon appartenance empirique un moyen de répondre à ce
besoin ontologique, qu'il est ainsi déterminé à désirer.
Donc se faire libre,
responsable est une source d'ostracisation. La conscience commune
fait peser un poids, augmente la charge existentielle de l'être
cheminant vers là conquête de sa liberté. La liberté et la
responsabilité est pénalisé par la conscience commune.
Pour
l'être nécessité moralement à conquérir sa liberté, à se faire
majeur moralement, la conscience commune devient une hétéronomie.
Le mode d'être
au monde au travers du « je » singulier est une source
d'étonnement chez l'autre, ou bien d'angoisse.
On peut rajouter que
l'être au désir empirique, soucieux d'appartenir à l'époque, à
la conscience commune est troublé par l'être dont le mode d'être
au monde est celui de la singularité. Car par la réciprocité de
vue, l'être qui est parvenu à sortir de son « on », qui
a dégrégarisé son esprit, m'invite en quelque sorte à remettre en
question ma propre appartenance empirique. Il me perçoit au-delà de
mon apparence, il fragilise donc chez moi ce postulat. Son apparaître
peut donc être perçu comme angoissant, car il peut remettre en
cause ce qui pour moi est un simple postulat, une certitude passive.
Donc il est sans
doute pertinent de dire que dans notre société, dans notre
conscience commune, non seulement on n' aide pas l'être à se faire
libre et responsable, ce qui n'est pas mal en soi, mais qu'en plus et
surtout on en pénalise la conquête. On rend cette conquête
pathogène, source d'angoisse.
Il est bon de ne
pas sortir du peloton dans l'époque qui est la nôtre, car les
circonstances sont hautement défavorables à une telle échappée.
C'est une conquête cavalière. Si l'être moral à une intuition
intellectuelle, l'être ayant un mode d'être au monde en phase avec
la conscience commune, est guidé par son instinct.
"L'angoisse
est le vertige de la liberté."
Søren Kierkegaard
la
passion amoureuse dégrégarise mon esprit.
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